Le 24 février dernier, un concert de Black Metal, la « Funeral Night », devait se tenir au Garage à Liège, avec à l’affiche 3 groupes belges: Funeraria, Demenzia Mortis et Tenebris Luna.
À partir du 15 février, les trois groupes qui devaient se produire ce soir-là ont annoncé sur leurs pages Facebook respectives que le concert était annulé.
Demenzia Mortis, qui s’est exprimé en premier, parle de censure, de pressions et de menaces envoyées à la salle, qui aurait annulé l’évenement sous une sorte de contrainte. Le communiqué mentionne qu’une raison invoquée serait qu’un des groupes diffuserait des messages d’extrême droite.
Tenebris Luna s’est contenté de partager le communiqué rédigé par Demenzia Mortis accompagné d’un message court et laconique. Nous n’avons rien relevé de plus concernant ce groupe.
Funeraria, enfin, s’est exprimé le lendemain, le 16 février, mentionnant également des pressions et menaces, parlant d’un « groupuscule extrémiste local » et ajoutant que « ce genre d’action serait courant dans la ville de Liège » (nous reviendrons sur ce point plus bas).
Comme de très nombreuses personnes attentives à ce qui se passe sur la scène metal, et Black Metal en particulier, nous nous sommes étonnés de l’annonce de cette annulation. En effet, si dans le passé la scène metal liégeoise a déjà vu se produire un certain nombre de groupes aux affiliations troubles, ainsi que s’exprimer une opposition salutaire (nous y reviendrons également), rien ne semblait ici incriminer de manière franche et indiscutable les trois groupes en question, y compris de manière subreptice dans des références cachées comme cela est parfois le cas dans le Black Metal.
Nous ne pouvons dès lors que conjecturer quant au processus qui a abouti à cette annulation. Après réflexion, deux hypothèses subsistent:
- Soit le Garage ou des personnes qui ont approché le Garage disposaient d’informations non-publiques ou désormais inaccessibles, et le Garage a pris une décision sur base de ces informations ;
- Soit il s’agit d’un coup de poker, d’un pari, qu’une personne ou un groupe de personnes a décidé de tenter.
Et s’il s’agit d’un pari, il semblerait que ce pari soit gagnant, parce qu’à défaut de traces attestant d’une affiliation d’un des groupes en question à l’extrême droite dans le passé, force est de constater que dans les heures qui ont suivi l’annonce de l’annulation, un certain nombre de soutiens se sont exprimés, sous différentes formes, et ces soutiens soulèvent de légitimes questions quant au rapports que ces groupes entretiennent, sciemment ou non, avec l’extrême droite et de ses idées.
On remarque que moins de deux heures après le communiqué de Funeraria, le mouvement d’extrême droite Nation et son mouvement de jeunesse Jeune Nation se sont empressés d’apporter leur soutien, sans que cela suscite la moindre réaction du groupe ou de ses membres.
Nous avons également relevé un série de partages venus de mouvements et de profils encore plus confidentiels et groupusculaires que le très déplumé mouvement Nation. Nous nous abstiendrons ici de les visibiliser inutilement. Il convient simplement de le mentionner sans en faire davantage cas.
En plus de ces partages, on remarque dans l‘espace commentaire sous les publications de Funeraria et de Demenzia Mortis un certain nombre de commentaires dans lequels la parole raciste s’exprime de manière éhontée, tout en fustigeant les antifas et les wokes. Petit florilège:
Et pendant que les néo-nazis sortent de terre pour manifester leur solidarité, que des fans expriment un racisme des plus caricaturaux ou vomissent leur haine des « gauchiasses« , on remarque par ailleurs que des personnes cherchent à en savoir plus quant aux accusations portées contre les groupes, et demandent des comptes aux groupes. Face à ces interrogations bien légitimes, les groupes répondent de manière bien peu satisfaisante. Il faut apparemment les croire de bonne foi, venir se faire sa propre idée en concert, ils sont apolitiques et toutes les opinions peuvent et doivent coexister, car « c’est l’esprit de la démocratie ».
Pour terminer sur les réactions des groupes, on ne peut que s’amuser (ou déplorer, c’est selon) de lire le chanteur de Demenzia Mortis s’indigner de voir les groupes être « injustement associés au nazisme », alors qu’aucun n’a jugé utile de rejeter le soutien apporté… par des néo-nazis. Au final, les réactions de Funeraria et de Demenzia Mortis sont fades, globalement dépolitisées, et lorsque Demenzia Mortis décide de clore les débats (et de rendre impossible davantage de commentaires sous sa publication Facebook), c’est encore une fois en fustigeant « les censeurs », et en remerciant « Les personnes qui soutiennent le black metal et les groupes impactés par cette broutille », ce qui inclut les néo-nazis, apparemment.
Se faire accuser de diffuser des messages d’extrême droite, recevoir le soutien de néo-nazis, botter en touche et refuser de montrer patte blanche: une broutille, donc.
C’est ce que, très clairement, nous déplorons: les groupes ne semblent pas avoir pris au sérieux l’accusation pourtant grave qui a apparemment été portée à leur encontre. Aucun n’a fait savoir que le soutien de l’extrême droite n’était pas le bienvenu, ils ont laissé fleurir les commentaires racistes, tout en se justifiant mollement par ailleurs (voire pas du tout) auprès de gens qui, légitimement, leur demandaient des comptes ou un peu de transparence.
Mais prenons un peu de hauteur
Qu’est-ce que l’annulation de ce concert et la séquence qui a suivi nous apprend ?
Entre 2016 et 2017, à Liège ou non loin de Liège, plusieurs concerts de NSBM (pour National-Socialist Black Metal, la frange néofasciste du Black Metal) ont eu lieu, ou ont été programmés avant d’être annulés suite à la mobilisation et le travail de veille effectué par des camarades antifascistes présents sur la scène locale. À l’époque, des enquêtes et synthèses avaient été publiées sur le blog « Veille Antifa Liège », et ces démarches avaient porté leur fruits: les fascistes de tout poils ont été contraints de se faire discrets sur la scène, ou se sont réfugiés dans l’organisation de concerts sous-terrains, voire clandestins.
N’étant pas au fait du processus ayant amené à l’annulation de la Funeral Night, nous ne pouvons rien affirmer quant aux éventuels liens entre ces groupes et les milieux NSBM, mais nous pouvons en revanche constater une chose: la veille antifasciste sur la scène metal liégeoise a perdu de sa vitalité. Peut-être l’annulation de ce concert est-elle un sursaut.
Les détails de la séquence ayant suivi l’annulation du concert, que nous exposions plus haut, sont troublants. Ils ne peuvent que rappeler de mauvais souvenirs, de surcroit lorsqu’on remarque que parmi les soutiens, plus discrets (qui se contentent d’un like par exemple), on retrouve des noms qui figuraient dans les articles publiés en 2017 sur Veille Antifa Liège, Florian « Flocky » Hardy par exemple, pour ne citer que lui…
Pour (re)lire les articles de l’époque, c’est ici:
https://veilleantifaliege.noblogs.org/post/2017/12/03/concerts-nsbm-a-liege-complement-dinformation/
C’est la raison pour laquelle aujourd’hui nous souhaitons revitaliser cette veille. Antifascistes convaincus, amateur·ice·s de metal et de musiques extrême plus largement, nous ne souhaitons pas voir ressurgir les pires représentants de la scène dans les salles de Liège et de ses environs, qui sont toujours présents, malgré leur relative discrétion. Liège Metal Watch entend servir de plateforme de ressources pour quiconque partage nos préoccupations, et souhaite participer, de près ou de loin, à ce salutaire travail de veille. Nous vous renvoyons vers notre manifeste pour en savoir plus.